Léa Dessart
- Contributor
FILM + TV
- Translations
6.23.2022




La collaboratrice Emma Camell nous raconte une récente expédition dans un cinéma drive-in et se penche sur la signification de telles formes de cinémas durant cette période, alors que les cinéphiles auraient bien besoin de nouvelles possibilités de visionnage pour profiter pleinement du grand écran.
Comme beaucoup d’autres personnes à travers le monde, j’ai également essayé le cinéma drive-in durant la pandémie, peut-être pour la troisième fois dans ma vie. Une organisation artistique locale a justement ouvert un drive-in suite à la pandémie. C’était excitant d’avoir une occasion pour sortir de la maison et voir d’autres personnes tout en restant prudent. Il n’y avait pas grand chose à voir, juste un terrain de graviers avec un grand écran, un food-truck (trad. Camion de restauration), quelques toilettes portatives et une cabine de projection. Malgré l’humble apparence du lieu, l’expérience fut très riche.
En arrivant environ 30 minutes avant le début de la séance, ma voiture était la première sur les lieux. Masque sur le nez, nous nous sommes dirigées vers le comptoir (/la buvette), tout en gardant une distance de sécurité avec les membres du staff et les autres visiteurs. Les instructions étaient présentées sur le grand écran, indiquant de sélectionner la fréquence 88.3 sur notre radio. Pendant qu’on mangeait nos popcorns, une musique ridiculement effrayante était transmise en attendant le début de la séance. Soudainement, une voix provenant de la radio de ma voiture annonça « Cher cinéphiles, la séance va commencer dans quelques minutes », et les projecteurs lumineux autour de nous baissèrent.

Le phénomène des drive-in était surtout en vogue au milieu des années 90. Ils portaient des noms comme « Starlite » et nous offraient une soirée de détente sans soucis, pleine de possibilités. Ils correspondaient parfaitement au style de vie américain d’après-guerre qui a peu de temps après influencé le monde entier. Des valeurs comme l’esprit d’entreprise, le mode de vie des banlieues-automobiles, la production de fast food et le divertissement familial sain étaient tous combinés au sein d’un drive-in. Depuis leurs débuts rocailleux jusqu’à leur déclin à la fin du siècle, divers avancées au niveau du son ont guidé l’industrie du drive-in à travers ces changements, jusqu’à son regain de popularité aujourd’hui.
Au tout début des cinémas drive-in, de grands haut-parleurs étaient installés derrière et de part et d’autre de l’écran. En Août 1933, Electronics magazine a publié un article sur la technologie derrière le premier drive-in, situé à Camden dans le New Jersey. « Des haut-parleurs haute fidélité R.C.A. Photophone délivrant 80W sont utilisés, permettant aux spectateurs des rangs arrière, situés à 150m de l’écran d’entendre avec la même intelligibilité et clarté que les spectateurs situés aux premiers rangs. » Cependant, d’autres témoignages ont décrit que ces grands haut-parleurs émettaient le son trop loin, trop fort dans le voisinage. D’autres disaient que, au contraire, le son n’atteignait même pas les voitures au bout du terrain.
Par la suite, RCA (Radio Corporation of America) a installé des petits hauts-parleurs dans des grilles au niveau du sol. Le but était d’atteindre les voitures adjacentes. Une tentative intéressante, mais qui fut un échec. Comme le son provenait du sol, il n’atteignait pas directement les oreilles des spectateurs. De plus, les bruits ambiants accumulés des ces petits haut-parleurs au sol étaient aussi forts que les grands haut-parleurs et donc tout aussi dérangeants pour le voisinage. RCA a ensuite essayé un haut parleur qui pouvait s’accrocher au pare-chocs de la voiture. Le son flottait à travers le corps du véhicule, ce qui donnait comme résultat une impression caverneuse, trop différente du son qu’on entend naturellement et donc pas très appréciée.

En gardant le concept d’un haut-parleur mobile, la prochaine version de RCA fut pensée pour être accrochée du côté intérieur de la vitre d’une voiture, dotée d’un bouton de volume. Les haut-parleurs étaient alors suspendus sur des pieds robustes qui délimitaient chaque emplacement de parking. Dès que le haut-parleur était ramassé et accroché à la vitre de la voiture, le son rentrait dans l’habitacle et les spectateurs pouvaient enfin entendre la bande-sonore à l’intérieur de la voiture, qui agissait comme un amplificateur naturel. Étant des grands terrains extérieurs plats, les drive-in ne sont pas des endroits idéals pour diffuser du son amplifié. Le son va se dissiper rapidement, à moins qu’il soit diffusé à un volume très élevé. Par contre, à l’intérieur de la voiture le son va pouvoir rebondir, se réfléchir et grandir sur les différentes surfaces, ce qui rend l’écoute meilleure.
Apparemment l’expérience était bien plus immersive car plusieurs conducteurs oubliaient de remettre les haut-parleurs sur leur pied avant de quitter le drive-in, incitant de passer des annonces à la radio et sur l’écran pour leur rappeler de remettre les haut-parleurs à leur poste.
Certaines éditions de ces haut-parleurs possédaient un bouton qui allume un voyant rouge pour notifier un membre du personnel qu’un spectateur aimerait passer une commande, comme une levée de main dans un restaurant. Ce fut ces quelques commodités spéciales et interactives qui ont marquées l’«âge-doré » des cinéma drive-in. La technologie était très simple mais permettait des services très utiles.

À mesure que l’industrie du drive-in grandissait, d’autres compagnies ont commencé à créer des produits similaires pour concurrencer RCA. C’était la méthode de reproduction sonore la plus populaire et la plus réussie utilisée depuis 1941 jusque dans les années 70. Les haut-parleurs étaient reliés à leur postes ce qui permettait de s’assurer que seuls les clients ayant payé étaient capables d’entendre la bande sonore, décourageant ceux qui voulaient s’installer librement dans les alentours de profiter du spectacle.
Pour connecter tous ces petits haut-parleurs, il fallait allonger de grandes longueurs de câbles à travers le terrain. Pour les drive-in pouvant accueillir plus de 3000 voitures, le projet était conséquent. Ces câbles pouvaient être abîmés ou altérés par l’eau et les haut-parleurs étaient totalement exposés aux éléments. Après quelques décennies de déclin industriel, la transmission aux radios des voitures était plus abordable pour les drive-in et beaucoup plus simple à mettre en place.
Le passage à la transmission radio était très fréquent au milieu des années 70. Cela a été possible grâce aux émetteurs de micro-diffusion, qui peuvent prendre le relais d’une onde radio et envoyer la bande sonore à proximité immédiate du drive-in, mais pas beaucoup plus loin. De cette manière, il n’y a pas d’intrusion non désirée dans d’autres diffusions comme les stations de radio publiques. La micro-diffusion fut aussi utilisée pour les radio pirates et d’autres opérations à petite échelle. Le conducteur avait juste à sélectionner la bonne fréquence sur le récepteur stéréo de sa voiture. Ce n’était pas limité qu’aux radios de voitures, mais à tous les récepteurs radio. D’ailleurs, beaucoup de cinémas avaient des radios supplémentaires à prêter pour toutes les voitures avec des équipements cassés.

Il y a juste un petit détail technique de la micro-diffusion à mentionner, qui nous éloigne un peu du film et qui nous ramène dans le siège du conducteur. La radio est alimentée par la batterie de la voiture. Le conducteur doit allumer et éteindre la voiture par intermittence pour empêcher la batterie de se vider, ce qui interrompt la bande sonore et crée une distraction de lumière et de bruit pour le conducteur lui -même et les voitures aux alentours. Quand j’ai eu à faire ça, même si le mirage fut brièvement brisé, c’était réconfortant d’avoir le contrôle de ma propre machine, d’être en contact avec la technologie.
Est ce qu’on peut s’attendre à des améliorations pour le son des cinémas drive-in dans le futur ? Considérant les systèmes de sons avancés dans les automobiles qui existent aujourd’hui, une bande sonore écoutée dans la voiture pourrait être meilleure que celle écoutée au cinéma. Cependant avec l’écran placé si loin, est ce que la meilleure qualité sonore se vaut sans la contrepartie visuelle ? Les cinéphiles préféreraient probablement une expérience dans un auditorium.
Peut-être que les drive-in doivent rester un moyen de voyager dans le passé. La vieille technologie des cinéma drive-in pourrait suivre la tendance des cassettes et des vinyles pour répondre à la demande des plus enthousiastes. Durant une période de pandémie où nous avons peur de tout toucher, j’adorerais avoir la chance d’accrocher cet encombrant haut-parleur RCA dans ma voiture. La nostalgie de cette époque est bien présente (/vivante), on le voit à travers des drive-in revitalisés ou des historiens et collecteurs de technologie vintage de drive-in.
Il y a quelque chose de spécial à regarder un film sous les étoiles, invitant le décor (/paysage) sonore environnemental à s’immiscer comme il lui plaît. Que regardons-nous ? Qu’entendons-nous ? En ces temps où les écrans sont devenus indispensables à notre quotidien, expérimenter un drive-in peut être plus puissant. Donc si vous avez l’opportunité durant ces beaux jours, arrêtez-vous à un drive-in, installez-vous, allumez votre radio et profitez du spectacle.